La plénitude du solitaire (Ecosse)

"J'aime grimper jusqu'à ce point où on touche le ciel" (Gaston Rébuffat).
4 h du matin, Glen Nevis, Ecosse. Nous nous préparons pour l'ascension du Ben Nevis, 1344 m (le sentier démarre à 15 m au dessus du niveau de la mer), plus haut sommet de la Grande Bretagne. Chose exceptionnelle, le sommet se dessine clairement contre le ciel encore sombre alors que généralement il est englouti par des nuages. Le sentier rocailleux monte bien et au fur et à mesure que nous progressons la vallée du Glen Nevis d'abord, puis les autres vallées se montrent sous leur plus beau jour...Pour le reste, hormis nous, on rencontre juste quelques moutons, les derniers broutant jusqu'à 700 m...après, il n'y a plus que les pierres. Au fur et à mesure que la matinée avance, les nuages reviennent et finalement, on se trouve dans un brouillard épais qui donne l'impression qu'à chaque pas on s'enfonce un peu plus dans un lieu immaculé. Arrive enfin le sommet, et là c'est le silence, la plénitude du solitaire, ce pour quoi on aime la montagne...

11 h du matin, Ben Nevis. Sur notre retour, tout a changé. La montagne n'est plus ce qu'elle fût lors de notre ascension...Des centaines de personnes, de tout âge, montent sur le sentier qui doit les mener au plus haut sommet de la Grande-Bretagne. Cette marée humaine défèrle sur le sentier avec un seul but : la photo au sommet. La relation intime avec la grandeur du paysage, comme avec le plus petit détail (un brin d'herbe luisant dans le soleil...), telle que l'entendait Elisée Reclus, ne trouve plus sa place ici. L'expérience du silence a cédé la place à un brouha digne d'une grande rue commerçante et la montagne n'est plus qu'un décor comme ceux qu'on réalise pour Hollywood.
Comme l'écrivait Catherine Destivelle dans sa préface du livre "Montagnes" (Editions Place des Victoires, Paris, 2003) en faisant référence aux écrits du géographe français Franz Schrader :
"Si l'on aborde sans préjugés, la montagne apporte une contribution complémentaire à la compréhension du monde. C'est pourquoi elle est nécessaire, telle quelle, d'un point de vue éducatif: seuls les paysages sont les maîtres de cette autre face de la terre. Si nous endommageons cette ressource, en y introduisant des éléments propres à la plaine - si nous la 'nivelons' à son image en facilitant l'accès à ses pentes, en supprimant son isolement, en la rendant moins exigeante - elle perdra sa fonction éducative spécifique: plus nombreux seront ceux qui y accéderont dans les funiculaires, mais ils ne connaîtront pas l'expérience authentique que l'on peut y vivre, celle qui est exclusive à la montagne, car ils perdront le sens même de son ascension en la convertissant en simple loisir"

A méditer en tout cas, car le cas du Ben Nevis n'est qu'un exemple parmi tant d'autres...
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