Folle terre (Liban)

Janvier 2002. Un minibus nous transporte de Beyrouth aux temples de Baalbek (Héliopolis) et au site historique musulman d’Anjar, via la route qui relie Beyrouth à Damas en Syrie. La montagne qui entoure la plaine de la Bekaa est encore blanche et même autour de nous, on voit les derniers restes d’une neige exceptionnelle. Il a neigé, fait tout à fait exceptionnel, à Beyrouth, au bord de la méditerranée. Ce qui étonne, c’est la diversité culturelle et religieuse sur un si petit territoire et la capacité de ces différentes communautés à vivre paisiblement ensemble. C’est aussi la richesse culturelle attestée par la présence de nombreux vestiges témoignant du fait que cette région a été le berceau du monde. C’est enfin la reconstruction de ce pays, meurtri par la guerre : le centre de Beyrouth montre que cette ville a tout pour redevenir une perle du Moyen-Orient. Interrogé sur les rapports des libanais avec les syriens, mon guide me répond à mon grand étonnement, ceci : « Les Syriens ? Ce sont nos frères ! »…Interpellé sur le sens de cette réponse, il complète : « Les frères, c’est de la famille, ce ne sont pas des amis. La famille, contrairement aux amis, on ne la choisit pas mais il faut faire avec ». Tout s’explique…
La poète libanaise Nadia Tuéni exprimait bien la souffrance du Liban, à propose de la dernière guerre (1982) dans son dernier recueil, dont voici un extrait :
Nous nous sommes battus pour le plaisir d'apprendre l'orgueil de mourir.
Débris de vent,
calme chétif des matins
entre deux morceaux de ville.
"Combats acharnés".
"Nouvelles médiations".
"Parties concernées".
Lynche nos vingt ans l'asphalte des routes,
qui vont de l'espoir jusqu'à la violence,
tout comee autrefois,
nos adolescences.
L'autre camp (peut-on choisir sa démence?)
saigne de mille roses.
ON TIRE SUR UNE IDÉE ET L'ON ABAT UN HOMME
Toujours écarlate la puissance des mots,
plus meurtriers d'un geste.
Ceux qui vivent au soleil de la parole,
au cheval emballé des slogans,
ceux-là,brisent les vitres de l'univers.
(Le Jardin du consul, N. Tuèni)